Chut ! C’est la minute piratée de Bernard M. Elle en a la saveur, l’humour distingué et l’élégance littéraire, mais… ce n’est qu’une copie.
A bord, certains me demandent comment satisfaire un besoin pressant lorsque la mer démontée et que les mouvements imprévisibles d’Enjoy rendent l’accès aux luxueux sanitaires du vaisseau aussi périlleux qu’un rodéo sur un jeune taureau très fâché contre l’abruti qui se cramponne à son dos.
C’est très simple, deux cas se présentent aux personnes normalement constituées : soit vous voulez uriner, soit vous voulez déféquer. Le cas d’un besoin irrépressible de vomir a déjà été traité sur la minute officielle, avec une solution très simple et convenant à chacun, sans distinction de sexe, de religion ou d’autres croyances, de capacité intellectuelle ou de couleur de peau. Nous n’y reviendrons pas.
Dans le cas d’une envie de pisser, c’est encore plus simple. Deux cas se présentent : soit vous faites partie des deux pourcents d’hommes qui ont le pied marin, soit vous apprenez.
Tout d’abord, étudiez attentivement la périphérie du navire sur lequel vous vous trouvez. Maints points d’appuis sont à votre disposition. Choisissez la position qui vous paraît la plus confortable. Peu importe si vous recevez des paquets de mer en pleine gueule, l’important est d’être à votre aise. N‘oubliez surtout pas d’ouvrir votre pantalon et de sortir le tuyau avant de balancer le jus par dessus bord. Si vous avez choisi une position adéquate, sous le vent, les gouttes qui auraient pu incidemment s’égarer sur le pont seront rincées dans la seconde par une déferlante compréhensive, vous évitant ainsi l’épuisante corvée d’aller chercher un seau en fond de soute. Je vous l’ai dit, c’est la solution la plus simple. Mais si, comme Bernard M. en a le droit pour avoir franchi le Cabo de Hornos, vous avez choisi une position au vent, vous félicitant d’échapper ainsi au rinçage des pieds à chaque vague, c’est votre urine qui vous arrivera en pleine gueule. C’est votre choix, il est tout aussi respectable, tant que l’équipage au rappel n’en profite pas également.
Deuxième cas. Votre système digestif a bien compris qu’il arrivait en milieu hostile, dès les premiers jours de croisière. Ignorant la durée de cette dernière, il vous a libéré de son insistance quotidienne et s’est fait discret pour vous laisser le temps de vous habituer. La position assise sur la cuvette du bord, si confortable pourtant par ces premières journées enchanteresses, est restée vaine, et inutile votre formation à l’usage complexe des vannes de vidange. Cependant, il arrive toujours un moment où, comme dans une cocotte-minute surchauffée, la pression devient trop élevée et la soupape de sécurité commence à vigoureusement s’agiter, en général concomittamment au durcissement des conditions météorologiques. Ecoutez votre corps, et ne tardez pas. Rendez-vous avec précaution mais célérité à l’endroit que votre skipper n’aura pas manqué de désigner pendant le briefing « sécurité ». Il y rassemble religieusement l’ensemble des équipements et dispositifs destinés à sauver son équipage et sa peau en cas d’adversité divine. Il vous aura longuement expliqué le capelage des gilets de survie, entrainé au maniement du mousqueton de harnais d’une seule main, désigné l’emplacement et le fonctionnement des extincteurs, répété plusieurs fois la procédure d’évacuation du navire sur le point de sombrer (tout en ajoutant doctement que « cela n’arrive jamais »), mais vous a-t-il précisé l’usage qu’il réserve aux pinoches ? A-t-il seulement mentionné ce mot évocateur de poésie, empreint d’un parfum d’antan ? Ce sont pourtant ces petites pièces de bois, taillées en cônes chacune à un diamètre différent, qui vont préserver votre pantalon et l’équipage de cette odeur nauséabonde et tenace. Elles ont été inventées par un célèbre inspecteur de la police française qui en fit le premier l’usage, lors d’une de ses nombreuses aventures qu’il serait trop long d’évoquer ici. Et comme notre populaire inspecteur, surnommé Pinuche, n’était de surcroît pas très beau, un jaloux a désigné l’objet salvateur « Pinuche-moche », avant que Bernard M. ne s’en empare à son tour à sa manière très personnelle et le transforme en « pinoche ». Les plus perspicaces d’entre vous ont déjà compris qu’il faut se mesurer le trou du cul, choisir une pinoche deux tailles au-dessus pour assurer une étanchéité parfaite et se l’enfoncer bien profond et à l’envers, comme le décrit le schéma ci-dessous.
C’était la minute piratée de Bernard M., bourrée d’astuces indispensables au marin consciencieux.
Jean Paul