Le changement climatique

Les Irlandais luttent contre le réchauffement climatique avec de si spectaculaires résultats qu’ils devraient faire l’objet de notre admiration en la matière. « Fraîchement » débarqué à l’aéroport de Dublin en ce 11 juillet 2023, je suis saisi par le contraste de température entre les 35° qui régnaient à Grenoble et les 19° rencontrés après seulement 1h30 d’un vol climatisé. Quels sont donc les secrets de nos voisins celtiques pour obtenir si aisément la température exigée par notre Président français en cas de pénurie d’énergie ?
Tout d’abord, force est de constater qu’ils sont peu nombreux. Chassés tantôt par les Anglais, tantôt par la famine, parfois par les deux, les Irlandais se livrent spontanément à des réductions de population dont les effets positifs sont multiples : baisse des consommations, des déchets, des émissions… Ces décroissances naturelles empêchent évidemment leur climat de se détériorer comme en Afrique où il fait si chaud, ou en Asie où l’humidité est insupportable.
De plus, ils pratiquent plusieurs fois par semaine la séparation des sexes : souvent, le soir, les hommes se rendent au pub pour y débattre en musique des dernières technologies de lutte contre le réchauffement climatique, tandis que leurs femmes s’adonnent aux joies des activités ménagères. On imagine facilement que cela ne favorise pas l’harmonie des couples ni la natalité, mais contribue efficacement à cette décroissance salutaire, seulement conspuée par le Pape, les banquiers et les économistes orthodoxes.
Ensuite, il faut noter cette épaisse couche nuageuse que les Irlandais entretiennent avec soin tout au long de la journée au-dessus de leurs villes et de leur campagne. C’est « no passaran » au soleil et à ses effets dévastateurs. Aucun touriste étranger n’a jamais rapporté d’Irlande les sempiternelles photos de couchers de soleil si fréquentes ailleurs. Seul l’office du tourisme local, aidé par les graphistes de l’Union Européenne, parvient à retoucher les paysages pour les repeindre en bleu provençal et attirer les bégnassous les plus crédules. En revanche, les belles nuits étoilées ne sont pas rares ; il faut quand même bien que l’Irlandais se repose, mais seulement après le coucher du soleil, pour ne prendre aucun risque de beau temps.
Un autre de leur secret, c’est l’averse, pluie interrompue mais pas toujours. Au coeur de l’été, il peut pleuvoir pendant plusieurs semaines, ce qui ravit les petits enfants irlandais qui pataugent à qui mieux mieux dans les rues et les champs. Cette propension et cette aisance à vivre sous l’eau ne sont, parait-il, pas étrangères à leurs piètres qualités de marins. Il suffit pour s’en convaincre d’observer le nombre hallucinant d’épaves figurant sur les cartes marines de leurs côtes. A défaut de naviguer loin, le marin irlandais navigue profond.
C’est fascinant d’observer de près le savoir-faire ancestral de ces artisans du mauvais temps, savoir-faire hélas disparu de nos côtes bretonnes, où il ne pleut plus que sur les cons, et pas tous. Il y a une quarantaine d’années, alors que la Bretagne amorçait son virage climatique en n’attirant plus qu’un crachin de second ordre, mon frère avait tenté l’aventure irlandaise en camping durant deux semaines pendant lesquelles il s’est dégoutté à jamais des vacances sous tente. Epuisé par le manque de sommeil et la résistance au froid pénétrant de l’humidité ambiante, rincé vingt fois par jour par des douches glaciales, il s’était presque laissé mourir de faim face à l’effort surhumain qu’il fallait produire pour s’approvisionner en nourriture de toute manière impossible à cuisiner sur son réchaud exposé à cette nature hostile. Rapatrié sanitaire d’urgence, il dut subir un temps de séchage et d’alimentation assistée de quarante jours, avant de retrouver une vie à peu près normale. Depuis, il a un abonnement et une résidence en temps partagé pour les Seychelles, championne toutes catégories des ciels immaculés et des eaux bouillantes…
Si vous en avez les moyens, ne laissez pas votre voilier hiverner au pays du drapeau vert-blanc-orange ; son joli bleu lavande se couvrirait d’une verdure moussue et glissante, assez épaisse pour y faire pousser des légumes après une seule saison. Privilégiez plutôt les hangars climatisés à hygrométrie contrôlée abondants dans les Etats Arabes Unis. Votre sortie d’hivernage y sera facilitée par l’absence de moisissures. Mais pour ce qui est d’une permariticulture, qui sont les champions ?
Qui n’a pas vu une irlandaise cheminer en souriant sur un petit sentier côtier balayé par le vent et la pluie, vêtue d’une jupe et d’un tee-shirt dégoulinants, ne comprendra jamais le flegme irlandais, si célèbre de par le monde. Elle a bien compris que le meilleur ciré ne serait qu’un faible rempart face à cette enveloppe liquide pulvérisée par un vent à décorner les moutons, et se moque gentiment des larves grillées entassées sur les plages sans autres occupation que de « regonfler les batteries ».
Enfin, vous vous demandez sans doute comment les habitants d’un petit caillou perdu dans l’atlantique nord peuvent commander les forces célestes ? La réponse tient en quatre mots : harpe, violon, chant folklorique. Ces spécialités locales, confiées aux autochtones, déclenchent immédiatement la colère du ciel, si sensible aux musiques feutrées et délicates des régions méditerranéennes. Les chants de crécelles, les dissonances et autres arythmies provoquent sans délai des pluies battantes, des vents violents et la fuite de touristes en mal d’exotisme. Les scientifiques dignes de ce nom vous ont-ils mentionné cette arme fatale contre le réchauffement climatique ? Le folklore irlandais !

Jean Paul